Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/592

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Sur l’invitation d’Ursule, je lui observai que, puisque l’eau était basse, nous pouvions bien passer sans nous mouiller. Il ne s’agissait que de relever un peu nos jupes et d’ôter nos chaussures. « Mais, dit-elle, si nous rencontrons des écrevisses, elles nous mangeront les pieds. — C’est égal, lui dis-je, il ne faut pas mouiller nos souliers ; nous devons les ménager, car nous avons encore bien du chemin à faire. » À peine fus-je déchaussée, que le froid du carreau me fit l’effet de l’eau véritable, et nous voilà, Ursule et moi, pataugeant dans le ruisseau. Pour ajouter à l’illusion générale, Hippolyte imagina de prendre le pot à l’eau et de le verser par terre, imitant ainsi un torrent et une cascade. Cela nous sembla délirant d’invention. Nos rires et nos cris attirèrent enfin l’attention de ma mère. Elle nous regarda et nous vit tous les trois, pieds et jambes nus, barbotant dans un cloaque, car le carreau avait déteint et notre fleuve était fort peu limpide. Alors elle se fâcha tout de bon, surtout contre moi qui étais déjà enrhumée ; elle me prit par le bras, m’appliqua une correction manuelle assez accentuée, et, m’ayant rechaussée elle-même, en me grondant beaucoup, elle chassa Hippolyte de sa chambre et nous mit en pénitence, Ursule et moi, chacune dans un coin. Tel fut le dénoûment imprévu et dramatique de notre représentation, et la toile tomba sur des larmes et des cris véritables.