Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/652

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de mes larmes, m’abandonnant à l’illusion d’un amour maternel qu’excitait plus vivement en moi le sentiment contristé de l’amour filial. Puis, tout-à-coup, j’eus un vertige ; je laissai tomber la poupée par terre, et j’eus d’affreux vomissemens de bile qui effrayèrent beaucoup mes bonnes.

Je ne sais plus ce qui se passa pendant plusieurs jours ; j’eus la rougeole avec une fièvre violente. Je devais l’avoir probablement, mais l’émotion et le chagrin l’avaient hâtée ou rendue plus intense.

Je fus assez dangereusement malade, et une nuit, j’eus une vision qui me tourmenta beaucoup. On avait laissé une lampe brûler dans la chambre où j’étais ; mes deux bonnes dormaient, et j’avais les yeux ouverts et la tête en feu. Il me semble pourtant que mes idées étaient très nettes, et qu’en regardant fixement cette lampe, je me rendais fort bien compte de ce que c’était. Il s’était formé un grand champignon sur la mèche, et la fumée noire qui s’en exhalait dessinait son ombre tremblotante sur le plafond. Tout-à-coup ce lumignon prit une forme distincte, celle d’un petit homme qui dansait au milieu de la flamme. Il s’en détacha peu à peu et se mit à tourner autour avec rapidité, et à mesure qu’il tournait, il grandissait toujours, il arrivait à la taille d’un homme véritable, jusqu’à ce qu’enfin ce fût un géant dont les pas rapides frappaient la terre avec bruit,