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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/226

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brûler des aigles dont les cendres furent littéralement baignées de larmes. Quelques-uns crachèrent sur la cocarde sans tache avant de la mettre à leur shako. Les officiers ralliés avaient hâte de se séparer de ces fidèles soldats et de prendre place dans l’armée réorganisée sur les nouvelles bases et avec un autre personnel. Je pense bien qu’il y en eut beaucoup de trompés dans leurs espérances, et que les belles promesses à l’aide desquelles on leur avait fait opérer sans bruit la dislocation n’aboutirent plus tard qu’à une maigre demi-solde.

Quand les derniers uniformes eurent disparu dans la poussière de nos routes, nous sentîmes tous une grande fatigue : à force de voir marcher, il nous semblait avoir marché nous-mêmes. Nous avions assisté au convoi de la gloire, aux funérailles de notre nationalité. Ma grand’mère avait eu des émotions douloureuses et profondes, des souvenirs ravivés ; ma mère, en voyant tous ces jeunes et brillans officiers, avait senti plus que jamais qu’elle n’aimerait plus et que sa vie encore jeune et pleine s’écoulerait dans la solitude et les regrets. Deschartres avait la tête brisée d’avoir eu tous les jours des centaines de logemens à distribuer et à discuter. Tous nos domestiques étaient sur les dents pour avoir servi nuit et jour une quarantaine de personnes et de chevaux pendant deux mois. Les courtes finances de ma grand’mère et sa cave s’en ressentaient,