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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/258

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cochon pour la dévorer à son aise, les autres l’y suivent pour le houspiller, et le dos ou la tête du quadrupède indifférent et impassible devient le théâtre de luttes acharnées. Quelquefois aussi ces oiseaux se perchent sur le pourceau seulement pour se réchauffer, ou pour mieux observer le travail dont ils doivent profiter. J’ai vu souvent une vieille corneille cendrée se tenir ainsi sur une jambe, d’un air pensif et mélancolique, tandis que le pourceau labourait profondément le sol, et par ses efforts lui imprimait des secousses qui la dérangeaient, l’impatientaient et la décidaient à le corriger à coups de bec.

C’est dans cette farouche société que Plaisir passait sa vie ; vêtu en toute saison d’une blouse et d’un pantalon de toile de chanvre qui avaient pris, ainsi que ses mains et ses pieds nus, la couleur et la dureté de la terre, se nourrissant, comme son troupeau, des racines qui rampent sous le sol, armé de l’instrument de fer triangulaire qui est le sceptre des porchers et qui leur sert à creuser et à couper sous les sillons, toujours enfoui dans quelque trou, ou rampant sous les buissons pour y poursuivre les serpens ou les belettes, quand un pâle soleil d’hiver faisait briller le givre sur les grands terrains bouleversés par l’incessant travail de son troupeau, il me faisait l’effet du gnome de la glèbe, une sorte de diable entre l’homme et le loup-garou, entre l’animal et la plante.