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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/431

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qu’elle ne le croyait certainement elle-même. Je n’avais jamais senti qu’une passion dans mon petit être, l’amour filial ; cette passion se concentrait en moi ; ma véritable mère y répondait tantôt trop, tantôt pas assez, et, depuis que j’étais au couvent, elle semblait avoir fait vœu de repousser mes élans et de me restituer à moi-même pour ainsi dire. Ma grand’mère me boudait parce que j’avais accepté l’épreuve qu’elle m’avait imposée. Ni l’une ni l’autre n’avait plus de raison que moi. J’avais besoin d’une mère sage, et je commençais à comprendre que l’amour maternel, pour être un refuge, ne doit pas être une passion jalouse.

Malgré la dissipation où mon être moral semblait s’être absorbé et comme évaporé, j’avais toujours mes heures de rêverie douloureuse et de sombres réflexions dont je ne faisais part à personne. J’étais parfois si triste en faisant mes folies, que j’étais forcée de m’avouer malade pour ne pas m’épancher. Mes compagnes anglaises se moquaient de moi et me disaient : « You are low-spirited to-day ? — What is the matter with you ? »[1] Isabelle avait coutume de répéter quand j’étais jaune et abattue : « She is in her low-spirits, in her spiritual absences »[2]. Elle faisait ma charge, je riais, et je gardais mon secret.

  1. Cette phrase et la suivante ne sont pas littéralement traduisibles : Vos esprits sont bas (abattus) aujourd’hui. Qu’est-ce que vous avez ?
  2. Elle est bas espritée ; elle est dans ses absences spirituelles.