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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/595

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Ma grand’mère était seule exceptée ; mon affection pour elle se développait extrêmement. J’arrivais à la comprendre, à avoir le secret de ses douces faiblesses maternelles, à ne plus voir en elle le froid esprit fort que ma mère m’avait exagéré, mais bien la femme nerveuse et délicatement susceptible qui ne faisait souffrir que parce qu’elle souffrait elle-même à force d’aimer. Je voyais les contradictions singulières qui existaient, qui avaient toujours existé plus ou moins, entre son esprit bien trempé et son caractère débile. Forcée de l’étudier, et reconnaissant qu’il fallait le faire pour lui épargner tous les petits chagrins que je lui avais causés, je débrouillais enfin cette énigme d’un cerveau raisonnable aux prises avec un cœur insensé. La femme supérieure, et elle l’était par son instruction, son jugement, sa droiture, son courage dans les grandes choses, redevenait femmelette et petite marquise dans les mille petites douleurs de la vie ordinaire. Ce fut d’abord une déception pour moi que d’avoir à mesurer ainsi un être que je m’étais habituée à voir grand dans la rigueur comme dans la bonté. Mais la réflexion me ramena, et je me mis à aimer les côtés faibles de cette nature compliquée, dont les défauts n’étaient que l’excès de qualités exquises. Un jour vint où nous changeâmes de rôle, et où je sentis pour elle une tendresse des entrailles qui ressemblait aux sollicitudes de la maternité.