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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/606

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des cartes et ne put les tenir dans sa main. Alors elle commença à divaguer et à se plaindre de ce que nous ne voulions pas la soulager en lui faisant une application de la dame de pique sur le bras. Effrayée, je dis tout bas à Deschartres : « C’est le délire ? — Hélas, non ! me répondit-il ; elle n’a pas de fièvre, c’est l’enfance ! »

Cet arrêt tomba sur moi pire que l’annonce de la mort. J’en fus si bouleversée que je sortis de la chambre et m’enfuis dans le jardin, où je tombai à genoux dans un coin, voulant prier et ne pouvant pas. Il faisait un temps d’une beauté et d’une tranquillité insolentes. Je crois que j’étais en enfance moi-même dans ce moment-là, car je m’étonnais machinalement que tout semblât sourire autour de moi pendant que j’avais la mort dans l’âme. Je rentrai vite. « Du courage ! me dit Deschartres, qui devenait bon et tendre dans la douleur. Il ne faut pas que vous soyez malade ; elle a besoin de nous ! »

Elle passa la nuit à divaguer doucement. Au jour, elle s’endormit profondément jusqu’au soir. Ce sommeil apoplectique était un nouveau danger à combattre. Le docteur et Deschartres l’en tirèrent avec succès ; mais elle s’éveilla aveugle. Le lendemain elle voyait, mais les objets placés à droite lui paraissaient transportés à gauche. Un autre jour elle bégaya et perdit la mémoire des mots. Enfin, après une série de phénomènes étranges et de crises imprévues,