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Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 5a9 1855 Gerhard.djvu/766

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mon compte, je ne pouvais envisager autrement la réprobation qui devait s’attacher à moi pour avoir observé les devoirs les plus sacrés de la famille.

Qu’on sache bien que je ne m’en prenais pas, que je ne m’en suis jamais prise à mes parens paternels. Ils étaient de ce monde-là, ils n’en pouvaient refaire le code à leur usage et au mien. Ma grand’mère, ne pouvant se décider à envisager pour moi un avenir contraire à ses vœux, avait arraché d’eux la promesse de me réintégrer dans la caste où, par leurs femmes[1] (les Villeneuve n’étaient pas de vieille souche), ils avaient été réintégrés eux-mêmes. Les sacrifices qu’ils avaient dû faire pour s’y tenir, ils trouvaient naturel de me les imposer. Mais ils oubliaient que, pour pousser ces sacrifices jusqu’à fouler aux pieds le respect filial (ce que certes ils n’eussent pas fait eux-mêmes), il m’eût fallu, outre un mauvais cœur et une mauvaise conscience, la croyance à l’inégalité originelle.

Or je n’acceptais pas cette inégalité. Je ne l’avais jamais comprise, jamais supposée. Depuis le dernier des mendians jusqu’au premier des rois, je savais, par mon instinct, par ma conscience, par la loi du Christ surtout, que Dieu n’avait mis au front de personne ni un sceau de noblesse, ni un sceau de vasselage. Les dons

  1. Mlle de Guibert et Mlle de Ségur.