Page:Sand - Impressions littéraires.pdf/14

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qu’on appelle l’aristocratie des intelligences ; Manfred n’a guère contribué, même en Angleterre, à la gloire de Byron, quoique ce soit peut-être le plus magnifique élan de son génie. Jeté comme complément dans le recueil de ses œuvres, s’il a été lu, il a été déclaré inférieur au Corsaire, au Gigour, à Childe-Harold, qui n’en sont pourtant que des reflets ar rangés à la taille de lecteurs plus vulgaires, ou des essais encore incomplets dans la pensée du poëte. Quant à cet acte des Dziady, d’Adam Mickiewicz, je crois pouvoir affirmer qu’il n’a pas eu cent lecteurs français, et je sais de belles intelligences qui n’ont pas pu ou qui n’ont pas voulu le comprendre.

Est-ce que la France est indifférente ou antipathique aux idées sérieuses qui ont inspiré ces ouvrages ? Non, sans doute. Dieu me préserve d’accorder à l’Allemagne cette supériorité philosophique à laquelle le moindre de nos progrès politiques donne un si éclatant démenti, car je ne comprends rien à une sagesse qui ne rend pas sage, à une force qui ne rend pas fort, à une liberté qui ne rend pas libre ; mais je crains que la France ne soit beaucoup trop classique pour apprécier de longtemps le fond des choses, quand la forme ne lui est pas familière. Quand Faust a paru, l’esprit académicien qui régnait encore s’est récrié sur le désordre, sur la bizarrerie, sur le décousu, sur l’obscurité de ce chef-d’œuvre ; et tout cela, parce que la forme était une innovation, parce