Page:Sand - Isidora, 1845.djvu/107

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son souvenir les imputations outrageantes sur le caractère de Laurent. Laurent lui eût-il été moins cher, elle connaissait déjà bien assez son désintéressement et sa fierté d’âme pour regarder cette circonstance du récit d’Adhémar comme une calomnie gratuite ; mais quand on aime, on n’a pas besoin d’opposer la raison à des soupçons de cette nature. La pensée d’Alice ne s’y arrêta pas un instant.

Mais par quelle bizarre et douloureuse coïncidence ce dernier amant qu’Isidora avait eu à Paris, après mille autres, se trouvait-il donc le seul homme que la tranquille et sage Alice eût aimé en sa vie ?

Alice avait eu besoin d’appeler à son secours tout ce qu’elle avait de religion dans l’âme et de courage dans le caractère pour ne pas haïr le mari froid et dépravé auquel on l’avait unie à seize ans sans la consulter. Victime de l’orgueil et des préjugés de sa famille, elle avait pris le mariage en horreur et le monde en mépris. Elle avait tant souffert, tant rougi et tant pleuré dans sa première jeunesse, elle avait été si peu comprise, elle avait rencontré autour d’elle si peu de cœurs disposés à la respecter et à la plaindre, et du contraire tant de sots et de fats désireux de la flétrir en la consolant, qu’elle s’était repliée sur elle-même dans une habitude de désespoir