Page:Sand - Isidora, 1845.djvu/43

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pauvre et se dire heureux ? Pauvre on a des privations ; riche on a des remords. Voyez ce luxe, songez à ce que cela coûte, et sur combien de misères ces délices sont prélevées !

— Vrai, Madame, vous songez à cela ?

— Je ne pense pas à autre chose, Monsieur. J’ai connu la misère, et je n’ai pas oublié qu’elle existe. Ne me faites pas l’injure de croire que je jouisse de l’existence que je mène ; elle m’est imposée, mais mon cœur ne vit pas de ces choses-là…

— Votre cœur est admirable !…

— Ne croyez pas cela non plus, vous me feriez trop d’honneur. J’ai été enivrée quand j’étais plus jeune. Ma mollesse et mon goût pour les belles choses combattaient mes remords et les étouffaient quelquefois. Mais ces jouissances impies portent leur châtiment avec elles. L’ennui, la satiété, un dégoût mortel sont venus peu à peu les flétrir : maintenant je les déteste et je les subis comme un supplice, comme une expiation.

Elle m’a dit encore beaucoup d’autres choses admirables que je ne saurais transcrire comme elle les a dites. Je craindrais de les gâter, et puis je me suis senti si ému, que les larmes m’ont gagné. Il me semblait que je contemplais un fait miraculeux. Une