Page:Sand - Isidora, 1845.djvu/62

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À minuit j’étais là, où elle m’avait dit de la rejoindre, et je l’attendais. Elle paraît enfin, me serre convulsivement la main, et se jette, essoufflée, sur une chaise au fond de la loge, après s’y être fait renfermer avec moi par l’ouvreuse. Au bout de quelques moments de silence, où elle paraissait véritablement suffoquée par l’émotion :

— J’ai encore été poursuivie aujourd’hui, me dit-elle, par un homme qui me hait et que je méprise. Oh ! candide et honnête Jacques ! vous ne savez pas ce que c’est qu’un homme du monde, à quelle lâche fureur, à quels ignobles ressentiments peuvent se porter ces gens de bonne compagnie, quand le despotisme fanatique de leur amour-propre est blessé !

Je la plaignais, mais je ne trouvais pas d’expression pour la consoler.

— Vous le voyez, lui dis-je, cette vie d’enivrement et de plaisir égare celles qui s’y abandonnent. Ces illusions d’un instant dont vous me parliez mettent l’amour d’une femme, peut-être belle et bonne, aux bras d’un homme indigne d’elle, et capable de tout pour se venger du retour de sa raison.

— Qu’est-ce que cela prouve, Jacques ? me dit-elle vivement. C’est qu’apparemment il faut s’abstenir de chercher et de rêver l’amour dans ce monde-