Page:Sand - Journal intime.pdf/62

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sant dans l’espace comme des follets boiteux. Les feuilles des tilleuls se chargent d’achever la mélodie, tout bas, avec un chuchotement mystérieux, comme si elles se confiaient l’une à l’autre le secret de la nature.

C’est peut-être un travail de composition, qu’il essaye par fragments sur le piano ? À côté de lui est sa pipe, son papier réglé et ses plumes ; chaque fois qu’il a tracé sa pensée sur le papier, il la confie à la voix de son instrument, et cette voix la révèle à la nature attentive et recueillie.

J’aimerais mieux croire qu’il se promène dans la chambre sans composer, livré à des pensées de tumulte et d’incertitude. Il me semble qu’en passant devant son piano il doit jeter ces phrases capricieuses à son insu, et obéissant à un instinct «le sentiment plutôt qu’à un travail d’intelligence. Alors les mélodies rapides et impétueuses me font l’effet d’un craquement d’un navire battu par la tempête et je sens mes entrailles se déchirer au souvenir de ce que j’ai souffert quand je vivais dans l’orage.

Blanche Arabella, je parlais de toi hier avec Alphonse[1] dans l’allée aromatique[2] sous la clarté des brillantes étoiles, au vent frais de minuit. Qu’y a-t-il de plus beau sur la terre.

  1. Alphonse Fleury (ami berrichon de George Sand).
  2. La grande allée du milieu qui va de la maison à la haie de clôture du côté du champ de l’oncle (à Nohant).