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SOLEIL BRÛLANT. TILLEULS ÉTINCELANTS, IMMOBILES


13 juin.

Faut-il se dévouer en tout, à toute heure, sans réserve, gaîment, fortement, saintement ? Faut-il abjurer toute vanité, s’exposer aux lazzis du public, à sa haine, à son injuste mépris, à l’abandon de la famille et des amis, à l’indigence, à la fatigue, à la persécution ? Faut-il sacrifier même l’amour de l’art et s’abstenir de vivre par la pensée ? Faut-il accepter des défauts révoltants, des vices, même les couvrir de mystère vis-à-vis de son propre jugement ? Faut-il faire plus, faut-il les aimer et se les inoculer, à soi, esprit calme et désintéressé ? Faut-il, baigné de sueur, courir dans la nuit glacée pour satisfaire un caprice, pour épargner un instant de contrariété ? Faut-il être pour l’objet qu’on aime, aussi aveugle, aussi dévoué, aussi infatigable qu’une mère tendre l’est pour son premier-né ? Non. Piffoël, il n’est pas besoin de tout cela, et tout cela ne sert à rien sans un peu d’adulation.

Tu t’imagines, Piffoël, qu’on peut dire à l’objet de son amour :

« Tu es un être semblable à moi, je t’ai choisi entre tous ceux de mon espèce parce que je t’ai cru le plus grand et le meilleur. Aujourd’hui,