Page:Sand - Journal intime.pdf/77

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eût voulu se poser sur le lilas blanc. Mais, insaisissable comme les ombres, elle s’effaçait lentement. Elle ne semblait pas s’enfoncer sous les voûtes obscurci du feuillage, l’obscurité semblait la prendre et l’entraîner dans ses profondeurs en épaississant autour d’elle des rideaux de ténèbres. Au bout de la ternisse elle était à peine visible, puis elle se perdait tout à fait dans les sapins et reparaissait tout à coup dans le rayon de la lampe comme une création spontanée de la flamme. Puis elle s effarait encore et flottait indécise et bleuâtre sur la clairière. Enfin, elle vint s’asseoir sur une branche flexible qui ne plia pas plus que si elle eût porté un fantôme. Alors la musique cessa, comme si un lien mystérieux eût attaché la vie dessous à la vie de cette belle femme pâle qui semblait prête à s’envoler vers les régions de l’intarissable harmonie.

Elle se leva, glissa par un inexplicable mouvement d’ascension vers le haut du perron et disparut dans lu salle ténébreuse. Un instant après, nous vîmes une vraie châtelaine du moyen âge traverser la salle voisine à la clarté des flambeaux. La chevelure blonde rayonnait comme une auréole d’or et son voile blanc, jeté sur ses épaules, voltigeait comme un nuage dans le mouvement rapide et léger de sa démarche Impérieuse. Les doigts errant sur le piano tirent silence, les flambeaux s’éteignirent et la vision rentra dans la nuit.