Page:Sand - Journal intime.pdf/84

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erreurs et aux bassesses des générations précédentes.

On dit que le siècle est en progrès. Si je comprends ce mot, c’est-à-dire qu’il est en travail, et qu’il accouchera d’un progrès, car le progrès, je ne le vois pas encore et il me faut la vue de tout le mal qui règne pour croire à tout le bien qui peut en sortir. Mais puisque ce travail de gestation devait se faire d’après la suprême logique du destin, il est révoltant, il est dégoûtant de voir tous ces cerveaux étroits, toutes ces âmes arides qui se cramponnent aux privilèges de l’inégalité comme à des lois octroyées par le Ciel, comme à des droits sacrés. C’est-à-dire que tout ce qui porte ombrage au repos, aux goûts, aux habitudes, aux sympathies, aux manies de ces gens-là, doit s’appeler désordre, monstruosité, anarchie, forfait, délire ? C’est-à-dire qu’ils ont appris de leurs pères le dernier mot de la sagesse, et que nous devons, prosternés, étouffer dans nos âmes toutes les révélations de la vérité, toutes les leçons de l’expérience, toute la sève de vie qui bouillonne éparse dans l’Univers pour nous laisser imposer les mains par ces drôles sacerdotaux ? Cela est pitoyable et l’avenir en rira cruellement.

Il rira de nous aussi ! il rira de nos vains efforts, de l’épouvantable anxiété avec laquelle les mieux intentionnés d’entre nous cherchent bien loin