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22 juin.

J’ai remarqué que la plupart des hommes s’enhardit et s’aigrit lorsque, dans une lutte morale avec elle, on emploie la douceur et le dévouement. Elle s’adoucit et se ravise dès qu’on emploie la violence ou la dureté. Espèce méprisable ! Cette règle est quasi invariable dans l’amour.

Chose étrange et déplorable ! elle est applicable aussi à l’amitié dans beaucoup de cas. Chose horrible, désespérante, elle est inévitable, elle est nécessaire au maintien des sociétés, aux gouvernements les plus démocratiques, comme aux plus absolus. Là où l’homme n’est pas contenu et réprimé, il abuse. Il méprise qui le craint, il insulte qui l’aime, il craint qui le méprise, il aime qui l’insulte. Alexandre a reçu les honneurs divins, Jésus a subi le supplice des malfaiteurs. Ainsi bonté est-elle devenue le synonyme de faiblesse et cruauté celui de force. Et de fait les choses ont changé ainsi. La force et la douceur d’aujourd’hui ne sont pas la force et la douceur des temps passés. Napoléon est plus humain qu’Alexandre. Sylvio Pellico n’a rien de la divinité de Jésus. Je trouve le conquérant plus touchant à Sainte-Hélène que le béat au Carcere duro.