Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/129

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Mais, à ce joli couple, succéda un couple plus expérimenté et plus savant, Anna et Ottavio. Stella était une héroïne pénétrante de noblesse, de douleur et de rêverie. Je vis qu’elle avait bien lu et compris le Don Juan d’Hoffmann, et qu’elle complétait le personnage du libretto en laissant pressentir une délicate nuance d’entraînement involontaire pour l’irrésistible ennemi de son sang et de son bonheur. Ce point fut touché d’une manière exquise, et cette victime d’une secrète fatalité fut plus vertueuse et plus intéressante ainsi, que la fière et forte fille du Commandeur pleurant et vengeant son père sans défaillance et sans pitié.

Mais que dirai-je d’Ottavio ? Je ne concevais pas ce qu’on pouvait faire de ce personnage en lui retranchant la musique qu’il chante : car c’est Mozart seul qui eu a fait quelque chose. La Boccaferri avait donc tout a créer, et elle créa de main de maître ; elle développa la tendresse, le dévouement, l’indignation, la persévérance que Mozart seul sait indiquer : elle traduisit la pensée du maître dans un langage aussi élevé que sa musique ; elle donna à ce jeune amant la poésie, la grâce, la fierté, l’amour surtout !…— Oui, c’est là de l’amour, me dit tout à coup Célio en s’approchant de mon oreille, dans la coulisse, comme s’il eût répondu à ma pensée. Écoute et regarde la Cécilia, mon ami, et tâche d’oublier le serment que je t’ai fait de ne jamais l’aimer. Je ne peux plus te répondre de rien à cet égard, car je ne la connaissais pas il y a deux mois ; je ne l’avais jamais entendue exprimer l’amour, et je ne savais pas qu’elle put le ressentir. Or, je le sais maintenant que je la vois loin du public qui la paralysait. Elle s’est transformée à mes yeux, et moi, je me suis transformé aux miens propres. Je me crois capable d’aimer autant qu’elle. Reste a savoir si nous serons l’un à l’autre l’objet de cette ardeur qui