Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/42

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et, s’il faut que vous y perdiez de l’argent, tâchons que vous en retiriez au moins quelque gloire.

— Il ne s’agit pas de gloire pour moi, reprit Félicie. Je ne me soucie de rien au monde. Tout est rompu à jamais entre l’opinion et moi : j’en ai pris mon parti, je n’en souffre plus, ma vie est trop occupée pour que j’y songe ; mais mon frère a besoin qu’on parle de lui, et qu’après l’avoir blâmé et raillé de ce qu’on appelle sa faiblesse on connaisse son énergie. Faites donc tout pour lui et rien pour moi, si vous voulez que je vous bénisse et que je vous aime.

Elle me quitta sans attendre ma réponse, après avoir dit d’un ton brusque et assez froid ces paroles à la fois énergiques et tendres.

Je savais maintenant ou croyais savoir tous les secrets de la famille, et je m’effrayais un peu, non de leur rendre service, mais d’avoir à fixer ma vie au sein de ces existences troublées. J’éprouvais un grand besoin de repos après mes propres désastres ; mon rêve eût été la liberté et l’isolement, c’est-à-dire le travail au jour le jour et l’absence de responsabilité. Je craignais, en me liant à la destinée agitée et assez exceptionnelle des Morgeron, de ne pas me trouver plus habile et plus heureux qu’avec ma propre famille, et ce n’est pas sans appréhension que je me voyais investi par la confiance de Félicie d’un devoir très-grave et qui pouvait m’assujettir à jamais.

Pourtant je l’avais accepté, ce devoir, sous le coup de l’émotion. Le bref et rude récit de cette fille dé-