Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pable d’une bonne action ! Quand je te le disais, chère petite mère : c’est un homme malheureux ; cela se voit sur sa figure ; mais…

— Mais vous ne le connaissez pas, dit Janille, et vous n’en pouvez rien dire. Voyons, Jean, expliquez-nous par quel miracle vous avez pu approcher de cet homme si froid, si fier et si sec ?

— Le hasard ou plutôt le bon Dieu a tout fait, répondit le charpentier. Je traversais le petit bois, qui longe son parc, et qui, dans cet endroit-là, n’en est séparé que par une haie et un petit fossé. Je jetais un coup d’œil par dessus le buisson pour voir comme c’était beau et propre, bien venu et bien tenu là-dedans. Je pensais un peu tristement que j’avais été dans ce parc et dans ce château comme chez moi ; que j’y avais travaillé pendant vingt ans, et que j’avais même eu de l’amitié pour M. le marquis, quoiqu’il n’ait jamais été bien aimable… Mais enfin il avait ses jours de bonté dans ce temps-là ; et pourtant, depuis une autre vingtaine d’années, je n’avais pas mis le pied chez lui, et je n’aurais pas osé lui demander un asile, après ce qui s’est passé entre lui et moi.

« Comme je pensai à tout cela, voilà que j’entends le trot de deux chevaux, et presque aussitôt j’aperçois deux gendarmes qui viennent droit sur moi. Ils ne m’avaient pas encore vu ; mais si je traversais leur chemin, ils ne pouvaient manquer de me voir, et ils connaissent si bien ma figure ! Je n’avais pas le temps de la réflexion. Je m’enfonce dans la haie, je la traverse comme un renard, et je me trouve dans le parc de Boisguilbault, où je me couche tranquillement le long de la clôture, pendant que mes bons gendarmes passent leur chemin sans seulement tourner la tête de mon côté. Quand ils sont un peu loin, je me lève et je me dispose à sortir comme j’étais venu, lorsque tout d’un coup je me sens frapper sur l’épaule,