Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/13

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notre voyageur, au sommet d’une colline hérissée de roches formidables qu’entrecoupait une riche végétation, on voyait se dresser les grandes tours délabrées d’un vaste manoir en ruines. Mais, lors même que le jeune homme aurait eu la pensée d’y chercher un asile contre l’orage, il lui eût été difficile de trouver le moyen de s’y rendre ; car on n’apercevait aucune trace de communication entre le château et la route, et un autre ravin, avec un torrent qui se déversait dans la Creuse, séparait les deux collines. Ce site était des plus pittoresques, et le reflet livide des éclairs lui donnait quelque chose de terrible qu’on y eût vainement cherché à la clarté du jour. De gigantesques tuyaux de cheminée, mis à nu par l’écroulement des toits, s’élançaient vers la nuée lourde qui rampait sur le château, et qu’ils avaient l’air de déchirer. Lorsque le ciel était traversé par des lueurs rapides, ces ruines se dessinaient en blanc sur le fond noir de l’air, et au contraire, lorsque les yeux s’étaient habitués au retour de l’obscurité, elles présentaient une masse sombre sur un horizon plus transparent. Une grande étoile, que les nuages semblaient ne pas oser envahir, brilla longtemps sur le fier donjon, comme une escarboucle sur la tête d’un géant. Puis enfin elle disparut, et les torrents de pluie qui redoublaient ne permirent plus au voyageur de rien discerner qu’à travers un voile épais. En tombant sur les rochers voisins et sur le sol durci par de récentes chaleurs, l’eau rebondissait comme une écume blanche, et parfois on eût dit des flots de poussière soulevés par le vent.

En faisant un mouvement pour abriter davantage son cheval contre le rocher, le jeune homme s’aperçut tout à coup qu’il n’y était pas seul. Un homme venait chercher aussi un refuge en cet endroit, ou bien il en avait pris possession le premier. C’est ce qu’on ne pouvait savoir