Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/136

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entre ce blason et ses lourds encadrements. Émile en tira cet indice que le marquis était fort attaché à ses titres et antiques priviléges.

Il sonna longtemps à une vaste grille avant qu’elle s’ouvrît ; enfin un ressort tiré de loin la fit rouler sur ses gonds, sans que personne parût, et le jeune homme étant entré après avoir attaché son cheval dehors, la grille retomba derrière lui avec un peu de bruit et se ferma comme si une main invisible l’eût pris au piége. Un sentiment de tristesse, presque d’effroi, s’empara de lui lorsqu’il se vit comme emprisonné dans une grande cour nue et sablée, entourée de bâtiments uniformes, et silencieuse comme le cimetière d’un couvent. Quelques ifs taillés en pointe, à l’entrée des portes principales, ajoutaient à la ressemblance. Du reste, pas une fleur, pas un souffle de plante parfumée, pas une guirlande de vigne aux fenêtres, pas une toile d’araignée aux vitres, pas une vitre fêlée, pas un bruit humain, pas même le chant d’un coq ou l’aboiement d’un chien, pas un pigeon, pas un brin de mousse sur les tuiles ; je crois qu’il n’y avait même pas une mouche qui se permît de voler ou de bourdonner dans le préau de Boisguilbault.

Émile regardait autour de lui, cherchant à qui parler, et ne voyant pas même la trace d’un pied sur le sable fraîchement ratissé, lorsqu’il entendit une voix grêle et cassée lui crier d’un ton peu engageant : « Que veut monsieur ? »

Après s’être retourné plusieurs fois pour voir d’où partait cette voix, Émile aperçut enfin, à un soupirail de cuisine souterraine, une vieille tête blanche, bien poudrée, avec des yeux clairs et sans regard ; et, en s’approchant, il essaya de se faire entendre. Mais l’oreille du vieux majordome était aussi affaiblie que sa vue, et, répondant tout de travers aux questions du visiteur :