Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/142

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imaginaire lui eût traversé le cerveau. C’est fort heureux. »

La voix et l’accent du marquis étaient encore plus refroidissants que sa figure et sa contenance. C’était une diction lente, des mots qui paraissaient sortir de ses lèvres avec un effort extrême, un timbre sans la moindre inflexion. « Décidément il ne sort pas de chez lui et ne se montre à personne, parce qu’il sait qu’il est mort », se dit Émile, qui pensait toujours à sa légende allemande.

« Maintenant, monsieur le marquis, dit-il, aurez-vous la bonté de me dire pourquoi vous avez désiré que mon père envoyât un exprès auprès de vous ? Me voici pour recevoir vos instructions.

— C’est que… répondit M. de Boisguilbault un peu troublé d’avoir à faire une réponse directe, et cherchant à rassembler ses idées, c’est que… voici. Cet homme, dont vous me parliez, voudrait ne pas aller en prison, et il faudrait empêcher cela. Dites à monsieur votre père d’empêcher cela.

— Cela ne regarde pas du tout mon père, monsieur le marquis ! Il ne provoquera certainement pas les rigueurs de la justice contre le pauvre Jean, mais il ne saurait empêcher qu’elles aient leur cours.

— Je vous demande pardon, répondit le marquis, il peut parler ou faire parler aux autorités locales. Il a de l’influence, il doit en avoir.

— Mais pourquoi ne feriez-vous pas ces démarches vous-même, monsieur le marquis ? Vous êtes plus anciennement établi dans le pays que mon père, et si vous croyez à l’influence, vous devez estimer vos priviléges plus haut que les nôtres.

— Les priviléges de naissance ne sont plus de mode, répondit M. de Boisguilbault sans montrer ni dépit, ni regret. Votre père, comme industriel, doit être aujour-