Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/152

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qui n’avait besoin que d’une journée de soleil et d’une nuit de fraîcheur pour les réparer.

Malgré les efforts de Cardonnet pour concentrer sa réflexion sur ses intérêts de famille, il était à chaque instant troublé et distrait par le souci de ses intérêts pécuniaires. « Maudit ruisseau, pensait-il, en fixant malgré lui ses regards sur le torrent qui roulait fier et moqueur à ses pieds, quand donc renonceras-tu à une lutte impossible ? Je saurai bien t’enchaîner et te contenir. Encore de la pierre, encore du fer, et tu couleras captif dans les limites que ma main veut te tracer. Oh ! je saurai régler ta force insensée, prévoir tes caprices, stimuler tes langueurs et briser tes colères. Le génie de l’homme doit rester ici vainqueur des aveugles révoltes de la nature. Vingt ouvriers de plus, et tu sentiras le frein. De l’argent, et toujours de l’argent ! Il faut une bien petite montagne de ce métal pour arrêter des montagnes d’eau. Tout est dans la question de temps et d’opportunité. Il faut que mes produits arrivent au jour marqué, pour compenser mes dépenses. Un mois d’indifférence et de défaillance perdrait tout. Le crédit est un abîme qu’il faut creuser sans hésitation, parce qu’au fond est le trésor du bénéfice. Creusons encore ! creusons toujours ! Sot et lâche est celui qui s’arrête en chemin et qui laisse ses avances et ses projets s’engloutir dans le vide. Non, non, torrent perfide, terreurs de femmes, pronostics menteurs des envieux, vous ne m’intimiderez pas, vous ne me ferez pas renoncer à mon œuvre, quand j’y ai fait tant de sacrifices, quand la sueur de tant d’hommes a déjà coulé en vain, quand mon cerveau a déjà dépensé tant d’efforts et mon intelligence enfanté tant de prodiges ! Ou cette eau roulera mon cadavre dans la fange, ou elle portera docilement les trésors de mon industrie ! »