Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous et avec vous, je n’ai ni cœur, ni bras, ni tête pour ce genre de travail. »

M. Cardonnet se sentit frémir de colère, mais il se contint. Ce n’était pas sans dessein qu’il avait provoqué si maladroitement l’indignation et la résistance de son fils. Il avait voulu l’amener à dire toute sa pensée, et tâter, pour ainsi dire, son enthousiasme. Quand il vit, au ton amer et à l’expression désespérée du jeune homme, que cela était aussi sérieux qu’il l’avait craint, il résolut de tourner l’obstacle, et de manœuvrer de manière à ressaisir son influence.


XIII.

LA LUTTE.


« Émile, reprit l’industriel avec un calme bien joué, je vois que nous parlons depuis quelques instants sans nous comprendre, et que, si nous continuons sur ce ton-là, tu vas me chercher querelle et me traiter comme si tu étais un jeune saint et moi un vieux païen. À qui en as-tu ? J’avais bien raison, en commençant, de vouloir te mettre en garde contre l’enthousiasme. Toute cette chaleur de cerveau n’est qu’une effervescence de jeunesse, et tu ne comprendras plus à mon âge, quand tu auras un peu l’expérience et l’habitude du devoir, qu’il soit nécessaire de se battre les flancs pour être honnête et de faire sonner si haut ses convictions. Prends garde à l’emphase, qui n’est que le langage de la vanité satisfaite. Voyons, enfant, crois-tu, par hasard, que la loyauté, la moralité, la bonne foi dans les engagements, les sentiments d’humanité, la pitié pour les malheureux, le dévouement à son pays, le respect des droits d’autrui, les vertus de famille et l’amour du prochain, soient des vertus bien rares,