Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/167

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— Telle n’est pas ma pensée, reprit M. Cardonnet, Je hais et méprise les oisifs : c’est pour cela que je n’aime pas les poètes et les métaphysiciens. Je veux que tout le monde travaille suivant ses facultés, et mon idéal, puisque ce mot te plaît, ne serait pas éloigné de celui des saint-simoniens : À chacun suivant sa capacité, la récompense proportionnée au mérite. Mais, dans le temps où nous vivons, l’industrie n’a pas encore assez pris son essor pour qu’on puisse songer à un système moral de répartition. Il faut voir ce qui est et n’envisager que le possible. Tout le mouvement du siècle tourne à l’industrie. Que l’industrie règne donc et triomphe ; que tous les hommes travaillent : qui du bras, qui de la tête ; c’est à celui qui a plus de tête que de bras à diriger les autres ; il a le droit et le devoir de faire fortune. Sa richesse devient sacrée, puisqu’elle est destinée à s’accroître, afin d’accroître le travail et le salaire. Que la société concoure donc, par tous les moyens, à asseoir la puissance de l’homme capable ! Sa capacité est un bienfait public ; et que lui-même s’efforce d’augmenter sans cesse son activité : c’est son devoir personnel, sa religion, sa philosophie. En somme, il faut être riche pour devenir toujours plus riche, vous l’avez dit, Émile, sans comprendre que vous disiez la plus excellente des vérités.

— Ainsi, mon père, vous ne donnez à l’homme qu’autant qu’il travaille ? Mais comptez-vous donc pour rien celui qui ne peut pas travailler ?

— Je trouve, dans la richesse, les moyens de pouvoir secourir l’infirme et l’idiot.

— Mais le paresseux ?

— J’essaie de le corriger ; et, si je ne réussis pas, je l’abandonne aux lois de répression, vu qu’il ne tarde pas à être nuisible et à encourir leur rigueur.

— Dans une société parfaite, cela pourrait être juste,