Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/18

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— C’est une ruine, à la vérité, dit son compagnon en étouffant un soupir ; mais quoique je ne sois pas des plus vieux, j’ai vu ce château-là debout bien entier, et si beau, en dehors comme en dedans, qu’un roi n’y eût pas été mal logé. Le propriétaire n’y faisait pas de grandes dépenses, mais il n’avait pas besoin d’entretien, tant il était solide et bien bâti ; et les murs étaient si bien découpés, les pierres des cheminées et des fenêtres si bien travaillées, qu’on n’aurait pu y rien apporter de plus riche que ce que les maçons et les architectes y avaient mis en le construisant. Mais tout passe, la richesse comme le reste, et le dernier seigneur de Châteaubrun vient de racheter pour quatre mille francs le château de ses pères.

— Est-il possible qu’une telle masse de pierres, même dans l’état où elle se trouve, ait aussi peu de valeur ?

— Ce qui reste là vaudrait encore beaucoup, si on pouvait l’ôter et le transporter ; mais où trouver dans le pays d’ici des ouvriers et des machines capables de jeter bas ces vieux murs ? Je ne sais pas avec quoi l’on bâtissait dans l’ancien temps, mais ce ciment-là est si bien lié, qu’on dirait que les tours et les grands murs sont faits d’une seule pierre. Et puis, vous voyez comme ce bâtiment est planté sur la pointe d’une montagne, avec des précipices de tous côtés ! Quelles voitures et quels chevaux pourraient charrier de pareils matériaux ? À moins que la colline ne s’écroule, ils resteront là aussi longtemps que le rocher qui les porte, et il y a encore assez de voûtes pour mettre à l’abri un pauvre monsieur et une pauvre demoiselle.

— Ce dernier des Châteaubrun a donc une fille ? demanda le jeune homme en s’arrêtant pour regarder le manoir avec plus d’intérêt qu’il n’avait encore fait. Et elle demeure là ?

— Oui, oui, elle demeure là, au milieu des gerfauts et