Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/191

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ce serait conforme à tous les nobles mouvements de sa vie ! Ah ! que ne puis-je, moi aussi, soulever une hache, et me faire l’apprenti de l’homme qui a si longtemps nourri mon père, tandis que, sans rien comprendre à mon existence, j’apprenais à chanter et à dessiner pour vous obéir ! Ah ! vraiment, les femmes ne sont bonnes à rien en ce monde !

— Comment, comment, les femmes ne sont bonnes à rien ! s’écria Janille : eh bien, donc, partons toutes les deux, montons sur les toits, équarrissons des poutres et enfonçons des chevilles. Vrai, je m’en tirerais encore mieux que vous, toute vieille et petite que je suis ; mais pendant ce temps-là, votre papa, qui est adroit de ses mains comme une grenouille de sa queue, filera nos quenouilles et Jean repassera nos bavolets.

— Tu as raison, mère, répondit Gilberte ; mon rouet est chargé et je n’ai rien fait d’aujourd’hui. Si nous nous hâtons, nous aurons bien de quoi faire des habits de drap pour Jean avant que l’hiver vienne. Je vais travailler et réparer le temps perdu ; mais il n’en est pas moins vrai que tu es une aristocrate, toi, qui ne veux pas que mon père redevienne ouvrier quand il lui plaît.

— Sachez donc la vérité, dit Janille d’un air de confidence solennelle : M. Antoine n’a jamais pu être un bon ouvrier. Il avait plus de courage que d’habileté, et si je l’ai laissé travailler, c’était pour l’empêcher de s’ennuyer et de se décourager. Demandez à Jean s’il n’avait pas deux fois plus de peine à réparer les erreurs de Monsieur, que s’il eût opéré tout seul ? Mais Monsieur avait l’air de faire beaucoup d’ouvrage, ça contentait les pratiques, et il était bien payé. Mais il n’en est pas moins vrai que je n’étais jamais tranquille dans ce temps-là, et que je ne le regrette pas. Je frémissais toujours que M. Antoine ne s’abattit un bras ou une jambe en croyant frapper sur une