Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/205

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se presse guère de revenir. Je le connais : il babille à cette heure ! Il a rencontré d’anciens amis ; il les régale sous la ramée ; il oublie l’heure et dépense son argent ! Et puis, si quelque pleurard demande à emprunter dix ou quinze francs, pour acheter une mauvaise chèvre, ou quelques paires d’oies maigres, il va se laisser aller ! Il donnerait bien tout ce qu’il a sur lui, s’il n’avait pas peur d’être grondé en rentrant. Ah mais ! il a emmené six moutons, et s’il n’en rapporte que cinq dans sa bourse, comme ça arrive trop souvent, gare à ma mie Janille ; il n’ira plus sans moi à la foire ! Tenez, voilà quatre heures qui sonnent à l’horloge (grâce à M. Émile qui l’a si bien fait parler), et je gage que ton père est tout au plus en route pour revenir.

— Quatre heures ! s’écria Émile, c’est juste l’heure où M. de Boisguilbault se met à table. Je n’ai pas un instant à perdre.

— Partez donc vite, dit Gilberte, car il ne faut pas l’indisposer contre nous plus qu’il ne l’est déjà.

— Et qu’est-ce que cela nous fait qu’il nous en veuille ? dit Janille. Allons, vous voulez donc partir absolument sans voir M. Antoine ?

— Il le faut à mon grand regret !

— Où est ce bandit de Charasson ? cria Janille. Je gage qu’il dort dans un coin, et qu’il ne songe pas à vous amener votre cheval ! Oh ! quand monsieur est absent, Sylvain disparaît. Ici, méchant drôle, où êtes-vous caché ?

— Que ne pouvez-vous me munir d’un charme ! dit Émile à Gilberte, tandis que Janille cherchait Sylvain et l’appelait d’une voix plus retentissante que réellement courroucée. Je m’en vais, comme un chevalier errant, pénétrer dans l’antre du vieux magicien pour essayer de lui ravir ses secrets et les paroles qui doivent mettre fin à vos peines.