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Au bout de deux heures de sommeil, Émile fut éveillé en sursaut par la chute d’un gros corps qui se laissait tomber sur la paille à côté de lui. « Ce n’est rien, c’est moi, dit M. Antoine ; ne vous dérangez pas. J’ai voulu partager mon lit avec ce vaurien ; mais monsieur, sous prétexte qu’il grandit, a des inquiétudes dans les jambes, et j’ai reçu tant de coups de pied, que je lui cède la place. Qu’il dorme dans un lit, puisqu’il y tient si fort ! quant à moi, je serai beaucoup mieux ici. »

Tel fut le châtiment exemplaire que subit à Fresselines le page de Châteaubrun.


XXII.

INTRIGUE.

Nous laisserons Émile oublier le rendez-vous que lui avait donné Janille, et courir par monts et par vaux avec l’objet de ses pensées. C’est à l’usine Cardonnet que nous irons reprendre le fil des événements qui enlacent sa destinée.

M. Cardonnet commençait à prendre sérieusement ombrage des continuelles absences d’Émile, et à se dire que le moment viendrait bientôt de surveiller et de régler ses démarches. « Le voilà distrait de son socialisme, se disait-il ; il est temps qu’il se prenne à quelque réalité utile. Le raisonnement aura peu d’effet sur un esprit aussi porté à l’ergotage. Il paraît que ce dada est à l’écurie pour quelque temps, ne l’en faisons point sortir ; mais voyons si, par la pratique, on ne peut pas remplacer les théories. À cet âge, on est mené par des instincts plus que par des idées, bien qu’on s’imagine fièrement le contraire ; enchaînons-le d’abord au travail matériel, et qu’il s’y prête, malgré lui s’il le faut. Il est trop laborieux et trop intelligent pour