Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/37

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sine si j’y suis, ou mets ta langue dans ta poche : choisis.

— Monsieur, j’aime mieux écouter, je ne dirai plus rien.

— Or donc, reprit le châtelain, je restai un petit moment partagé entre la crainte de me rompre les os en acceptant, et celle de passer pour poltron en refusant. Après tout, me dis-je, ce quidam n’a point l’air d’un fou, et il ne paraît avoir aucune raison d’exposer sa vie. Il a sans doute un merveilleux cheval et une excellente brouette. Je m’installai à ses côtés, et nous commençâmes à descendre au grand trot ce précipice, sans que le cheval fît un seul faux pas, et sans que le maître perdît un instant sa résolution et son sang-froid. Il me parlait de choses et d’autres, me faisait beaucoup de questions sur le pays ; et j’avoue que je répondais un peu à tort et à travers, car je n’étais pas absolument rassuré. « C’est bien, lui dis-je quand nous fûmes arrivés sans accident au bord de la Gargilesse ; nous avons descendu le casse-cou, mais nous ne traverserons pas l’eau ici ; elle est aussi basse que possible, mais encore n’est-elle pas guéable en cet endroit : il faut remonter un peu sur la gauche.

« — Vous appelez cela de l’eau ? dit-il en haussant les épaules ; quant à moi, je n’y vois que des pierres et des joncs. Allons donc ! se détourner pour un ruisseau à sec !

« — Comme vous voudrez, » lui dis-je un peu mortifié. Son audace méprisante me taquinait ; je savais qu’il allait donner tout droit dans un gouffre, et pourtant, comme je ne suis pas d’un naturel pusillanime, et qu’il me répugnait d’être traité comme tel, je refusai l’offre qu’il fit de me laisser descendre. J’aurais voulu, pour le punir, qu’il eût enfin l’occasion d’avoir une belle peur, eussé-je dû boire un coup dans la rivière, quoique je n’aime pas l’eau.