Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/68

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paysan avec une brusquerie enjouée. Maintenant, ici deux bons enfants. Allons, ferme !… Courage, mon petit Pierre, c’est bien !… Encore un peu, mon vieux Guillaume !… Oh ! les bons compagnons !… Bellement ! bellement ! que je retire mon pied, ou tu me l’écraseras, fils du diable ! Ça y est… pousse… n’aie pas peur… je tiens !… »

Et en moins de deux minutes, Jean, dont la présence et la voix semblaient électriser les autres ouvriers, dégagea la machine du corps étranger qui la compromettait.

« Suivez-moi, Jean, dit alors M. Cardonnet.

— Pourquoi faire, monsieur ? répliqua le paysan. J’ai assez travaillé comme cela pour aujourd’hui.

— C’est pourquoi je veux que vous veniez boire un verre de mon meilleur vin. Venez, vous dis-je, j’ai à vous parler… Mon fils, allez dire à votre mère qu’elle fasse servir du malaga sur ma table.

— Votre fils ? dit Jean en regardant Émile avec un peu d’émotion. Si c’est là votre fils, je vous suis, car il m’a l’air d’un bon garçon.

— Oui, mon fils est un bon garçon, Jean, dit M. Cardonnet au paysan, lorsqu’il le vit accepter un verre plein de la main d’Émile. Et vous aussi, vous êtes un bon garçon, et il est temps que vous le prouviez un peu mieux que vous ne faites depuis deux mois.

— Monsieur, faites excuse, répondit Jean en regardant autour de lui d’un air de méfiance ; mais je suis trop vieux pour aller à l’école, et je ne suis pas venu ici tout en sueur pour entendre de la morale froide comme du verglas. À votre santé, monsieur Cardonnet ; en vous remerciant, vous, jeune homme, à qui j’ai fait de la peine hier soir. Vous ne m’en voulez pas ?

— Attendez un instant, dit M. Cardonnet : avant de retourner à vos trous de renard, emportez ce pourboire.