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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/116

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née heureuse, mon brave Malgache, auprès de toi, au milieu de mes enfants et de mes amis. J’ai ri de bien bon cœur de nos anciennes folies ; j’ai renouvelé nos combats espiègles ; je me suis diverti de tes calembours. J’ai retrouvé, après deux ans d’absence (qui renferment pour moi deux siècles), toute cette ancienne vie avec un plaisir d’enfant, avec une joie de vieillard. Eh bien ! mon pauvre ami, tout cela est entré une journée entière dans ce cœur usé et désolé ; tout cela l’a fait bondir de joie, mais ne l’a ni guéri ni rajeuni ; c’est un mort que le galvanisme a fait tressaillir, et qui retombe plus mort qu’auparavant. J’ai le spleen, j’ai le désespoir dans l’âme, Malgache. Je me suis dit tout ce que je pouvais et devais me dire, j’ai essayé de me rattacher à tout ; je ne puis pas vivre, je ne le puis pas. Je viens dire adieu à mon pays, à mes amis. Le monde ne saura pas ce que j’ai souffert, ce que j’ai tenté avant d’en venir là. J’essaierais en vain de te faire comprendre mon âme et ma vie : ne me parle pas de cela ; reçois mon adieu, et ne me dis rien ; ce serait inutile. Viens me voir quelquefois pendant mon séjour ici et parler du passé avec moi. J’aurai quelques services à te demander : tu en accepteras l’ennui comme une preuve de confiance. Pense à moi, et si j’ai un tombeau quelque part où tu passes un jour, arrête-toi pour y laisser tomber quelques larmes ? Oh ! prie pour celui qui, seul peut-être, a bien connu et bien jugé ton cœur.

Lundi soir.

Merci, mon bon vieux Malgache, merci de ta lettre ; aucun remède ne peut être plus efficace que ces paroles d’amitié et cette douce compassion dont mon orgueil ne saurait souffrir. Tu ne sais des malheurs de ma vie qu’une bien faible partie. Si le sort nous réunit quelques heures, je te les dirai ; mais l’important, ce n’est pas que tu les saches, c’est que ton affection les adoucisse. Va, le raisonnement,