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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/125

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ami qui vive pour lui et qui ne l’abandonne point pour mourir !

J’ai souvent honte de cette lâcheté qui m’empêche d’en finir tout de suite ; ne sais-je donc me décider à rien ? ne puis-je ni vivre ni mourir ? Il y a des instants où je me figure que je suis usé par le travail, l’amour ou la douleur, et que je ne suis plus capable de rien sur la terre ; mais, à la moindre occasion, je m’aperçois bien que cela n’est pas et que je vais mourir dans toute la force de mon organisation et dans toute la puissance de mon âme. Oh ! non, ce n’est pas la force qui me manque pour vivre et pour espérer ; c’est la foi et la volonté. Quand un événement extérieur me réveille de mon accablement, quand le hasard me presse et me commande d’agir selon ma nature, j’agis avec plus de présence d’esprit et de calme que je n’ai jamais fait. — Tel je suis encore, malgré tant d’affronts et de blessures dont on m’a couvert, malgré tant de fange et de pierres qu’on m’a jetées, dans le vain espoir de tarir la source vive et abondante des vertus que Dieu m’avait données. On l’a bien troublée, hélas ! et la beauté du ciel ne s’y réfléchit plus comme autrefois. Mais quand un être souffrant s’en approche, elle coule encore pour lui, et il peut y puiser sans qu’elle lui refuse son flot bienfaisant. Il y a plus : ce bien que je fais sans enthousiasme et même sans plaisir, ces devoirs que j’accomplis sans satisfaction puérile et sans espoir d’en retirer aucun soulagement, c’est un sacrifice plus austère et peut-être plus grand devant Dieu que les ardentes offrandes d’un cœur plus heureux et plus jeune. C’est maintenant que je sens intimement combien mon âme est droite, puisqu’à mon insu l’amour du bien refleurit en moi sur les plus sombres ruines. Ô mon Dieu ! s’il pouvait me tomber de votre sein paternel une conviction, une volonté, un désir seulement ! mais en vain j’interroge cette âme vide. La vertu n’y est plus qu’une habitude forte comme la nécessité, mais stérile pour mon bonheur ; la foi