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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/131

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fait un portrait selon mes rêves. J’ai retrouvé dans les griffonnages que j’entassais sous mon oreiller à l’âge de seize ans, ce portrait du juste. Le voici, c’est un caillou brut.


« Le juste n’a pas de sexe moral : il est homme ou femme selon la volonté de Dieu ; mais son code est toujours le même, qu’il soit général d’armée ou mère de famille.

« Le juste n’a pas d’état. Il est mendiant, voyageur, ou prince de la terre, selon la volonté de Dieu. Son but, sa profession, c’est d’être juste.

« Le juste est fort, calme et chaste. Il est vaillant, il est actif, il est réfléchi. Il observe tous ses premiers mouvements jusqu’à ce qu’il se soit fait tel que tous ses premiers mouvements soient bons. Il méprise la vie, et pour peu que sa place en ce monde soit nécessaire à un meilleur que lui, il la cède de bon cœur et s’offre à Dieu en disant : Seigneur, si je suis nuisible à mon frère, prenez ma vie. Je monterai ce coursier, je franchirai ce buisson, je traverserai ce marais, je sortirai du danger ou j’y resterai, selon votre bon plaisir, ô mon Dieu ! — Le juste est toujours prêt à paraître devant Dieu.

« Le juste n’a pas de fortune, pas de maison, pas d’esclaves. Ses serviteurs sont ses amis s’ils en sont dignes. Son toit appartient au vagabond, sa bourse et son vêtement à tous les pauvres, son temps et ses lumières à tous ceux qui les réclament.

« Le juste hait les méchants et méprise les lâches. Il leur donne du pain s’ils en manquent, et des conseils s’ils en veulent. S’ils se convertissent, il les encourage et leur pardonne ; s’ils s’endurcissent dans le mal, il les oublie, mais il ne les craint pas ; et si un assassin l’attaque, il le tue bravement et se regarde comme l’instrument de la justice de Dieu.

« Le juste ne s’ennuie jamais. Il travaille tant qu’il peut,