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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/160

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La vieillesse est le résultat de celui-ci, et varie selon ce qu’il a été ; mais l’affaiblissement des facultés confond les nuances, comme lorsque l’éloignement atténue les couleurs et les enveloppe d’un voile pâle.

Il est presque impossible de savoir ce que sera un homme, difficile de savoir ce qu’il est, aisé de savoir ce qu’il a été.

Il ne faut se méfier ni s’enthousiasmer des jeunes gens ; mais il faut bien se garder de croire aux hommes faits, de même qu’il faut s’abstenir de les condamner ; tout est en eux, c’est le métal en fusion qui tombe dans le moule. Dieu sait comment réussira la statue. Quant aux vieillards, quels qu’ils soient, il faut les plaindre.

Pour ma part, j’ai vu quelle chose misérable et terrible à la fois est cette force de jeunesse qui n’obéit pas à notre appel, qui nous emporte où nous ne voulons pas aller, et nous trahit lorsque nous avons besoin d’elle ; et je m’étonnerais d’avoir été si fier de la posséder, si je ne savais que l’homme est porté à tirer vanité de tout, depuis la beauté, qui est un don du hasard, jusqu’à la sagesse, qui est un résultat de l’expérience ; s’enorgueillir de sa force est aussi raisonnable que de s’enorgueillir d’avoir bien dormi et d’avoir les jambes prêtes à entreprendre une longue course, mais gare aux pierres des chemins.

Oh ! que l’on se croit bon marcheur quand on est prêt à partir et qu’on a aux pieds de bons souliers tout neufs sortant de chez l’ouvrier ! Je me souviens de cette impatience que j’éprouvais de me lancer dans la carrière avec ma chaussure imperméable. Qui pourra m’arrêter ? disais-je ; sur quelles épines, sur quelle fange ne marcherai-je pas sans crainte d’être blessé ou sali ! Où sont les obstacles, où sont les montagnes, où sont les mers que je ne franchirai pas ? J’avais compté sans les chausse-trapes.

Et quand j’eus commencé à faire usage de ma force, il n’en résulta d’abord que de belles et bonnes choses ; car mon bagage était bon, et j’avais dans mes poches les plus