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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/163

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triste crier à ceux qui s’avancent : Ne passez point ici, je m’y suis perdu. Le méchant s’y plaît, il avance jusqu’à son dernier jour, et meurt d’ennui lorsqu’il a épuisé tout le mal que l’homme peut faire. Celui-là s’amuse à entraîner sur ses traces le plus de malheureux qu’il peut ; il rit en les voyant tomber dans la boue à leur tour, et s’égaie à leur persuader que cette boue est une essence précieuse dont il n’appartient qu’aux grands esprits et aux gens du bon ton de s’oindre et de s’embaumer.

Et dans tout cela, François, il y a pour nous bien peu de sujets de consolation ; car nous n’avons pas grand mérite à n’être pas de ces gens-là. N’avons-nous pas traversé leurs fêtes, n’y avons-nous pas bu le poison de la vanité et du mensonge ? Si le grand air nous a dégrisés, c’est que le hasard ou la Providence nous a fait sortir de l’atmosphère funeste et nous a forcés d’être dans un champ plutôt que dans un palais. Mon ami, ce qu’on appelle la vertu existe certainement, mais elle existe chez les hommes d’exception seulement ; chez nous autres, ce que l’on veut bien appeler honnêteté, c’est le sentiment des bonnes choses, l’aversion pour les mauvaises. Or, à quoi tient, je te le demande, que ce pauvre germe, battu de tous les vents, n’aille pas se perdre au loin, quand nous l’exposons si légèrement à l’orage ? Quand on songe à la facilité avec laquelle il s’envole, doit-on s’élever beaucoup dans sa propre opinion pour avoir échappé au danger par miracle ? Quelle pâle fleur que cet honneur qui nous reste ! Quel est donc le séraphin qui l’a protégée de son aile ? quel est le rayon qui l’a ranimée ? Le bon grain a beau tomber dans la bonne terre, si les oiseaux du ciel viennent s’y abattre, ils le mangent. Quelle est donc la main qui les détourne ? Ô Dieu, un tremblement de terreur s’empare d’une âme touchée de tes bienfaits quand elle regarde en arrière !

Mais toi, ami, tu as pu réparer. Il n’a pas été trop tard pour toi lorsque tu t’es arrêté ; tu es revenu au point de