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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/171

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temps-là. Vous m’écouterez quand vous n’aurez rien de mieux à faire ; tu viendras t’asseoir sous mon arbre quand tu auras besoin de repos et d’amusement. Bonsoir, mon frère Éverard, frère et roi, non en vertu du droit d’aînesse, mais du droit de vertu. Je t’aime de tout mon cœur, et suis de votre majesté, sire, le très-humble et très-fidèle sujet.

15 avril.

Tu m’adresses plusieurs questions auxquelles je voudrais pouvoir répondre, pour te prouver au moins que je suis attentif à toutes les paroles que trace ta plume. Pour procéder à la manière de mon cher Franklin, les voici dans l’ordre où tu les as posées : 1º Pourquoi suis-je si triste ? 2º Si tu n’étais pas si différent de moi, t’aimerais-je autant ? 3º Suis-je pour quelque chose dans vos discours ? 4º À quand donc la conclusion ? 5º Quand pourrai-je m’asseoir ? etc.

J’ai répondu hier à la première question : c’est que travailler pour la gloire est à la fois un rôle d’empereur et un métier de forçat ; c’est que tu es enfermé dans ta volonté comme dans une forteresse, et que le moindre insecte qui effleure de l’aile les vitraux de ton donjon te fait tressaillir et réveille en toi le douloureux sentiment de ta captivité. Prométhée, prends courage ! tu es plus grand, couché sur ton roc, avec les serres d’un vautour dans le cœur, que les faunes des bois dans leur liberté. Ils sont libres, mais ils ne sont rien, et tu ne pourrais être heureux à leur manière. C’est ici le lieu de répondre à ta cinquième question : Quand pourrai-je m’asseoir avec toi dans les longues herbes sur les rives d’un torrent ? — Jamais, Éverard, à moins qu’une armée ennemie ne fût sur l’autre rive et que tu n’attendisses là le signal du combat. Mais oublier la guerre et dormir dans les roseaux, toi ? Je voudrais savoir quels rêves fit Marius dans le marais de Minturnes ; à coup sûr, il ne