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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/196

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Maintenant le Malgache, réduit à l’état de momie, mais plus vert et plus actif que jamais, coule des jours purs au fond de sa pépinière. Il a été juge de paix pendant quelque temps ; mais, bientôt dégoûté, comme il dit, des grandeurs et des soucis qu’elles traînent à leur suite, il a donné sa démission et ne veut plus recevoir de lettres que celles qui sont adressées à M. ***, pépiniériste. Comme il a beaucoup travaillé dans sa retraite, il a beaucoup appris, et c’est aujourd’hui un des hommes les plus savants de France ; mais personne ne s’en doute, pas même lui. Un peu de mélancolie vient bien parfois obscurcir sa brillante gaieté, surtout lorsqu’il gèle en avril pendant que les abricotiers sont en fleur ; et puis le Malgache a une grande qualité et un grand malheur : il est ce que nos bourgeois appellent cerveau brûlé : cela veut dire qu’il a l’âme républicaine, qu’il ne trouve pas la société juste et généreuse, et qu’il souffre de ne pouvoir y donner de l’air, du soleil et du pain à tous ceux qui en manquent. — Il se console au milieu d’un petit nombre d’âmes sympathiques qui souffrent et prient avec lui ; mais, quand il rentre dans sa solitude, il s’attriste profondément, et il m’écrit : « Ô mon Dieu ! serions-nous des utopistes, et faudra-t-il mourir en laissant le monde comme il est, sans espoir qu’après nous il s’améliore ? N’importe, allons toujours, parlons et agissons comme si nous avions l’espérance ; n’est-ce pas, vieux ? »

Il prend alors sa blouse et sa bêche pour chasser le découragement, et quand il a travaillé tout le jour il est calme et humblement philosophe le soir. Il m’écrit alors avec l’encre de la joie et du contentement. Ce qu’il appelle ainsi, c’est le jus du raisin d’Amérique, qu’il exprime dans un coquillage et qui produit une belle teinture rouge, malheureusement sujette à pâlir comme toutes les joies possibles. Voici son dernier billet :

« J’ai remarqué sur moi-même que le meilleur traitement pour les maladies morales, c’est l’exercice du corps. Ah ! que