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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/278

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il voit des âmes contrefaites dans des corps splendides, des cœurs d’argile dans des statues d’or et de marbre. Alors il souffre, il s’indigne, il murmure, il gourmande. Le ciel, qui lui a fait une vue si perçante, lui a donné pour la plainte et pour la bénédiction, pour la prière et pour la menace, une voix abondante et sonore qui trahit imprudemment toutes ses angoisses. Les abus du monde lui arrachent des cris de détresse ; le spectacle de l’hypocrisie brûle ses yeux d’un fer rouge ; les souffrances de l’opprimé allument son courage ; des sympathies audacieuses bouillonnent dans son sein. Le poëte élève la voix et dit aux hommes des vérités qui les irritent.

Alors toute cette race immonde, qui se met à l’abri d’un faux respect des lois pour satisfaire ses vices dans l’ombre, ramasse les pierres du chemin pour lapider l’homme de vérité. Les scribes et les pharisiens (race éternellement puissante) préparent les fouets, la couronne d’épines et le roseau, sceptre dérisoire que la main sanglante du Christ a légué à toutes les victimes de la persécution. La plèbe aveugle et stupide immole les martyrs pour le seul plaisir de contempler la souffrance. Jésus sur la croix n’est pour elle autre chose que le spectacle énergique d’un homme aux prises avec une terrible agonie.

Il est vrai que du sein de cet abîme de turpitudes sortent quelques justes qui osent approcher du gibet et laver les plaies du patient avec leurs larmes. Il est aussi des hommes faibles et sincères, souvent terrassés par la corruption du siècle, mais souvent relevés par une foi pieuse, qui viennent répandre sur ses pieds brisés le parfum expiatoire. Ceux-ci apportent des consolations à la victime ; les premiers préparent la récompense. La nuée s’entr’ouvre, l’ange de la mort touche de son doigt de feu le front incliné de l’homme qui va s’éveiller ange à son tour. Déjà les harpes célestes épandent sur lui leurs vagues harmonies. La colombe aux pieds d’or semble voltiger sous la coupole ardente