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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/28

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des toits, comme une mince écharpe d’azur semée de paillettes d’argent.

Le murmure de la Brenta, un dernier gémissement du vent dans le feuillage lourd des oliviers, des gouttes de pluie qui se détachaient des branches et tombaient sur les rochers avec un petit bruit qui ressemblait à celui d’un baiser, je ne sais quoi de triste et de tendre, était répandu dans l’air et soupirait dans les plantes. Je pensais à la veillée du Christ dans le jardin des Olives, et je me rappelai que nous avons parlé tout un soir de ce chant du poëme divin. C’était un triste soir que celui-là, une de ces sombres veillées où nous avons bu ensemble le calice d’amertume. Et toi aussi, tu as souffert un martyre inexorable ; toi aussi, tu as été cloué sur une croix. Avais-tu donc quelque grand péché à racheter pour servir de victime sur l’autel de la douleur ? qu’avais-tu fait pour être menacé et châtié ainsi ? est-on coupable à ton âge ? sait-on ce que c’est que le bien et le mal ? Tu te sentais jeune, tu croyais que la vie et le plaisir ne doivent faire qu’un. Tu te fatiguais à jouir de tout, vite et sans réflexion. Tu méconnaissais ta grandeur et tu laissais aller ta vie au gré des passions qui devaient l’user et l’éteindre, comme les autres hommes ont le droit de le faire. Tu t’arrogeas ce droit sur toi-même, et tu oublias que tu es de ceux qui ne s’appartiennent pas. Tu voulus vivre pour ton compte, et suicider ta gloire par mépris de toutes les choses humaines. Tu jetas pêle-mêle dans l’abîme toutes les pierres précieuses de la couronne que Dieu t’avait mise au front, la force, la beauté, le génie, et jusqu’à l’innocence de ton âge, que tu voulus fouler aux pieds, enfant superbe !

Quel amour de la destruction brûlait donc en toi ? quelle haine avais-tu contre le ciel, pour dédaigner ainsi ses dons les plus magnifiques ? Est-ce que ta haute destinée te faisait peur ? est-ce que l’esprit de Dieu était passé devant toi sous des traits trop sévères ? L’ange de la poésie, qui rayonne à sa droite, s’était penché sur ton berceau pour te baiser au