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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/292

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du peuple, la crainte de ton courroux ou de ton déplaisir par des hordes de soldats mercenaires, seul frein que les princes sachent employer et que les peuples veuillent reconnaître ?

Que penser d’un siècle où l’éducation morale est entièrement abandonnée au hasard, où la jeunesse n’apprend ni à régler ses besoins intellectuels ni à gouverner ses appétits physiques, où on lui présente les livres des diverses religions, qu’on lui explique en souriant et en lui recommandant bien de ne croire à aucune ; où, pour tout précepte, on lui conseille de ne point se mettre mal avec la police aux premières orgies qu’elle se permettra, et de ne point professer trop haut la théorie des vices dont on lui abandonne la pratique ? Que lui apprend-on de l’amour, de cette passion qui s’élève la première, et qui, dans le cœur de l’adolescent, est susceptible d’un mouvement si noble ? Rien, sinon qu’il faut faire pour les femmes le moins de sottises possible, jouer au plus fin avec les coquettes, s’abstenir de l’enthousiasme, se consoler avec les prostituées des défaites de la ruse ; en toute occasion sacrifier à l’intérêt personnel, au plaisir ou à la fortune, le plus beau sentiment qui puisse germer dans les âmes neuves !

Que lui apprend-on de l’ambition, de cette soif de gloire et d’action qui étouffe bientôt les velléités d’affection exclusive, et qui souvent ne les laisse pas même éclore ? Lui dit-on qu’il faut gouverner cette ardeur généreuse, mettre au service de l’humanité les talents acquis et les forces employées ? Elle a lu pendant les années d’enfance quelque chose de semblable dans les écrits des antiques philosophes, et on lui apprend à les juger au point de vue littéraire ; puis la société lui ouvre ses bras avides et son sein glacé. Donne-moi tes lumières, lui dit-elle ; donne-moi le fruit de tes sueurs et de tes veilles, et je te donnerai en retour des richesses pour satisfaire tous tes vices ; car tu as des vices, je le sais, je les aime, je les protége, je les couvre de mon