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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/318

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— Les systèmes ne sont pas tout à fait aussi méprisables, dit-il, que veulent bien le faire croire les gens incapables de suivre pendant un quart d’heure le plus simple raisonnement, et de comprendre les plus claires théories. Ce sont d’excellentes habitudes d’esprit que celles qui amènent à embrasser d’un coup d’œil toutes les combinaisons de la pensée ; et quand on est arrivé à saisir sans effort, et à comparer sans trouble et sans vertige, toutes les données morales et philosophiques qui circulent dans le monde intelligent, je crois qu’on est au moins aussi capable de juger son siècle que lorsqu’on se croise les bras en disant : Tout ce qui est obscur est inintelligible, tout ce qui est difficile est irréalisable.

— Bravo ! major ; à bas l’obscurantiste ! s’écrièrent en chœur les assistants.

Je n’étais pas content, d’autant plus que la mule avait le trot dur, et que l’infernal major accompagnait chaque phrase d’un coup d’éperon qui m’imprimait de violentes secousses. J’avais grande envie de le pousser dans le premier fossé venu et de continuer la route sans lui ; mais je craignis qu’il ne se vengeât par quelque malice plus raffinée ; et comme j’ai le malheur d’être fort lourd dans la plaisanterie, je me soumis à mon sort en attendant une meilleure occasion. La bonne Arabella, me voyant mortifié, prit généreusement ma défense.

— Si vous n’aviez pas trouvé dans la science autre chose que l’avantage et le plaisir de juger votre siècle, dit-elle au major, ce ne serait pas d’un grand profit pour nous autres. Ce n’est pas seulement d’intelligence que les hommes ont besoin, mais d’amour et d’activité. Voilà sans doute ce que Piffoël veut prouver depuis trois heures qu’il déraisonne ; et voilà ce que le major fait semblant de ne pas comprendre, bien qu’il en soit pénétré tout autant que nous.

— Non ! non ! m’écriai-je avec humeur ; il n’est pénétré