Page:Sand - Malgretout.djvu/160

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comme l’effet d’une maladie, car son mari lui avait écrit l’avant-veille ; elle devinait quelque tragique événement, un duel, un empoisonnement, elle prononça même le mot de suicide.

Le matin qui suivit, mon père, la voyant hors d’état de voyager, partit pour Paris afin de faire rendre les derniers devoirs à son gendre et de mettre ordre, autant que possible, à ses affaires. Il me laissait le soin d’apprendre à la pauvre Adda les cruels détails qu’il serait bientôt inutile de vouloir lui cacher. Elle les devina d’elle-même.

— Il se sera tué, disait-elle, par amour pour cette fille !

Il ne lui vint pas à la pensée qu’Abel eût joué un rôle dans ce drame, et, comme les journaux ne mêlèrent pas son nom au récit plus ou moins fidèle, plus ou moins réservé, qu’ils firent de l’événement, je n’eus pas lieu de parler de la cause.

Adda fut véritablement malade durant plusieurs jours ; elle n’exprima aucun regret, aucune affection pour la mémoire de son mari. Il lui arriva même de dire dans l’excitation de la fièvre qu’il s’était fait justice à lui-même, et que c’était un bonheur pour ses enfants. Le deuil de son âme avait pris la forme de la peur, elle voyait son spectre ensanglanté, elle criait et se débattait. Enfin elle s’apaisa, et, quand mon père revint de Paris, il la trouva abattue et résignée, essayant sa robe noire au lieu de sa robe rose.