Page:Sand - Malgretout.djvu/184

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s’embarrassait si peu ! Lui écrire, lui rendre sa liberté ? bienfait ironique ! il ne l’avait point aliénée. De quoi pouvais-je me plaindre ? Ne lui avais-je pas dit : « Vivez à votre guise, essayez de m’oublier, si mon souvenir vous est pénible ; si vous n’y réussissez pas, revenez dans un an. » Il ne s’était encore écoulé que cinq mois, il n’avait pas d’engagement à renouveler, je ne lui en avais imposé aucun, et, s’il persistait à m’aimer, j’avais sept mois à attendre pour le savoir. J’avais fait un plan absurde, un traité stupide. Je devais en subir passivement les conséquences.

Au bout de deux heures, j’entendis rouvrir les croisées du premier étage, et des éclats de voix montèrent jusqu’à moi. On avait trop chaud dans cette grande salle de festin ; moi, j’étais glacée dans mon étroite solitude. Toujours le contraste !

Une douloureuse curiosité s’empara de moi. J’ouvris aussi ma fenêtre, je m’avançai sur le balcon. Il était trois heures, le ciel était sombre, la ville silencieuse. Le gaz seul éclairait la grande place déserte. Une vive clarté se projeta de l’intérieur de l’hôtel sur les premiers plans du dehors. Je vis passer sur ce reflet les ombres des convives. Une forte odeur de fumée de tabac imprégnée d’alcool monta dans l’air. On riait, on criait, on ne causait que par rapides fusées de mots applaudis ou hués. Il y avait autant de voix de femmes que de voix d’hommes. Ces dix ou douze