Page:Sand - Malgretout.djvu/195

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été froissé et comme souillé ; quel malheur pour lui !

— Le malheur est-il si grand ? Si vous pensez que je ne l’aimais pas, réjouissez-vous plutôt de ce qui arrive.

— Écoutez, miss Owen, Abel se tuera par l’excitation, cela est certain. Mille fois je lui ai dit : « Si tu pouvais faire comme moi, aimer un être pur, doux et fort, une vraie femme, tu serais aussitôt dégoûté de ces innombrables aventures qui te suivent et t’enlacent comme une danse macabre. Tu verrais percer les os des cadavres sous ces fleurs et ces chiffons. Tu les fuirais avec dégoût, et tu connaîtrais enfin l’amour, que tu cherches comme don Juan, sans le trouver plus que lui. » Mille fois Abel m’a répondu : « Tu dis vrai, mais où trouver cet être incomparable dans le milieu que je suis forcé de traverser à perpétuité ? Quelle femme sensée voudra m’y suivre ? Et n’est-il pas trop tard d’ailleurs ? Un ange voudrait-il de moi ? » Quand il m’a dit un jour à Revins qu’il avait rencontré son ange gardien, qu’il l’adorait, qu’il voulait s’attacher à lui pour toujours et ne plus exercer son état que pour être à même d’élever une famille, j’ai crié : « Tu es sauvé ! » Il était sauvé, en effet. Vous étiez une des deux fins prévues et acceptées par lui : vivre d’une vie enragée et finir vite, ou rencontrer un idéal et rompre brusquement, irrévocablement avec tout le reste. Cela était très-sérieux. C’était le mot de sa destinée, et il y avait dix ans