Page:Sand - Malgretout.djvu/21

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couragements exquis dont il avait su la bercer pour lui cacher la gravité de son mal, tant de courage héroïque pour lui sourire en refoulant ses larmes. Je revoyais sa noble figure atterrée et pourtant victorieuse de foi et d’amour à l’heure suprême. Je n’ai jamais songé à me demander si mon père était beau ou seulement passable ; je sais que dans l’expression de son honnête visage j’ai toujours puisé le sentiment, le besoin du vrai, et je sais aussi qu’au moment où ma chère mère expira, il me parut sublime. J’avais douze ans. J’étais en âge de comprendre beaucoup de choses, et j’avais compris qu’il ne fallait ni sangloter ni faiblir au chevet de ma mère mourante. Quand je la vis froide et pâle, je sentis que tout était fini et que je m’affaissais dans une sorte de mort, l’absence de facultés ; mais je rencontrai le regard clair et profond de mon père, et ce regard me tint debout. Le ciel y était ; sa bouche ne put prononcer une parole, mais l’œil éloquent me disait : « Il faut aimer après la séparation comme auparavant. La mort a des yeux et des oreilles. Il faut respecter son mystérieux silence, ne pas faiblir, savoir souffrir beaucoup et regretter toujours. »

Je n’avais donc pas d’autre idéal que l’homme fort, doux et sage dont mon père était la réalisation dans ma vie d’enfant et de jeune fille. Je ne demandais à Dieu que de rencontrer un époux comme celui qu’il avait donné à ma mère ; j’étais