Page:Sand - Malgretout.djvu/77

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tions, les folies. À présent, tout cela est fini, oui, fini, car en fait de succès je n’ai plus rien de nouveau à connaître, à éprouver, à conquérir dans ma carrière d’artiste. Le gouffre est comble et la vie déborde. Je n’ai plus qu’à laisser couler le trop plein, et, quand le flot a retrouvé son niveau, il recommence à s’enfler, sachant bien que rien ne le gênera et qu’il n’aura plus les émotions du combat à outrance. Dès lors, pourquoi tiendrais-je à recommencer éternellement la même plaisanterie ? Je suis arrivé à mon apogée de triomphe. Je n’ai plus qu’à chercher celle de mon talent, ce qui n’est pas du tout la même chose ; mais écoutez bien ceci, si vous ne le savez déjà. Vous le savez, vous, monsieur Owen ; mis Owen ne le sait peut-être pas. On n’arrive à la plénitude du talent qu’à la condition de sacrifier sa vie, et c’est tant mieux, car on ne peut pas, on ne doit pas survivre au jour où l’on s’est dit : « Je suis grand. » Ce doit être un jour ineffable, divin, sublime, et ce jour ne doit pas avoir de lendemain. On deviendrait fou, mécontent de tout, intolérant, envieux, sot, méchant peut-être ! L’homme n’est pas fait pour posséder le vrai bien à lui tout seul. Il en abuse, et la démence s’empare de lui. Je ne désire donc pas vieillir. Je veux vivre avec toute l’intensité possible et toujours chercher à monter plus haut. Quand mon être sera arrivé à ce déploiement de sensibilité, d’enivrement et de ravissement qui ne peut plus être dépassé, je ver-