Page:Sand - Malgretout.djvu/99

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l’occasion de faire un pareil présent à qui ne pourra jamais lui en rendre un semblable ! Et je ne suis pas le seul qu’il ait traité avec cette royale tendresse. J’en pourrais citer dix, vingt, qu’il a tirés de la misère et de l’obscurité avec un empressement, une joie, une délicatesse inouïes. Non ! voyez-vous, Abel est le plus grand prince, le seul grand prince de la terre ! C’est la magnificence alliée à la bonhomie ; c’est la prodigalité ingénieuse de la Providence. Il a l’insouciance, je dirai même l’apathie d’un bohème en ce qui le concerne, avec des prodiges de volonté quand il s’agit de secourir ou de servir les autres. Quand il n’a plus rien, et cela arrive tous les jours, puisqu’il donne tout, il arrache aux riches le pain des pauvres. Il les persuade, il les enchante, il prodigue son génie pour ouvrir leurs mains en même temps que leurs âmes. Il parle en ce moment de donner un concert. Quand il m’aura forcé de prendre ma part du bénéfice, il s’enquerra du sort des artistes secondaires, et, s’ils sont malheureux, il leur abandonnera la sienne. C’est ainsi partout, il n’accepte pour lui que quand tous les autres sont comblés. Aussi il est pauvre, il n’a pas de château, il n’a pas d’équipages, il voyage souvent à pied pour son plaisir, à ce qu’il dit, à ce qu’il croit, car il n’y a pas eu une minute dans sa vie où il ait songé à regretter ses sacrifices et à se dire qu’il pourrait, comme tant d’autres parvenus de l’art, mener un train de grand