Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/114

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théâtre, il n’y a plus d’autre énergie disponible. Le théâtre use, brûle, dévore. On y vit aussi longtemps qu’ailleurs, à la condition de ne pas le quitter et d’entretenir cette force factice, cette surexcitation nerveuse, cette ivresse, qui ne se trouvent que là ; une fois rentré dans le repos, même quand on en a senti le besoin impérieux, l’ennui vous ronge, l’esprit se remplit de fantômes, le train de la vie réelle vous écœure, les sentiments vrais se confondent avec les fictions du passé, les journées semblent des siècles, et, le soir, à l’heure où l’on voyait la rampe se lever pour éclairer votre visage et le public accourir pour s’occuper de votre personne, on s’imagine être cloué vivant dans une bière.

» Non, mon enfant, n’abordez pas le théâtre, si vous n’y êtes pas poussé par une vocation irrésistible, car c’est une loterie où les gagnants, après avoir tout risqué, sont forcés de mettre toujours leur vie et leur âme.

» Je devais vous dire cela. Ne vous imaginez pas que ce soit l’effet de l’épreuve que nous venons de faire. Si je n’écoutais que mon intérêt, je vous cacherais ma pensée, car, tel que vous êtes, avant très-peu de temps, vous me serez très-utile. On